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05.07.2010 Le Prix Fernand Baudin, comme...

Publié dans la revue "BookbyBrussels" #01, 2010

Le Prix Fernand Baudin, comme...
L’opportunité d’échanges entre professionnels?

ALEXIA DE VISSCHER : Il est important que les graphistes signent leurs livres. Quant aux éditeurs, ils doivent se rendre compte que le travail d’un graphiste peut être une valeur ajoutée, à une époque où ils auraient plutôt tendance à rester en interne parce que l’informatique leur permet beaucoup de choses.

MANUELA DECHAMPS OTAMENDI : Que ce prix existe est une chance. Il n’existe pas beaucoup d’événements au cours desquels notre travail peut être montré ou mis en valeur. C’est par le livre que tous les aspects de notre métier de graphiste sont mis en valeur.

RENAUD HUBERLANT & PASCALE ONRAET (Salutpublic) : Nous sommes peu nombreux en Belgique, mais nous avons tous une manière différente d’aborder la problématique. Une nouvelle génération de graphistes arrive, la « famille » va s’agrandir. Ce prix est donc peut-être aussi une façon d’attirer d’autres gens, d’autres regards, d’autres pratiques autour du livre.

BOY VEREECKEN : C’est une excellente initiative, mais un premier pas. Aux Pays-Bas, un prix est un stimulant: à la clé, il y a de l’argent, une résidence à l’étranger ... J’espère qu’à terme, il sera également question de ce genre de soutien ici, de manière à conférer à notre métier plus de poids et de respectabilité. Aujourd’hui, c’est encore un prix strictement professionnel.

Un autre contact avec le public?

MDO : Les graphistes n’ont jamais été uniquement des metteurs au net. La différence, c’est qu’aujourd’hui, le public perçoit peut-être mieux leur travail. Bien sûr, le Prix Fernand Baudin apporte une reconnaissance. Mais toucher le grand public ne se fera en fin de compte que quand les éditeurs qui travaillent à destination du grand public auront un peu plus d’ambition créative et engageront des graphistes à cette fin.

RH & PO : C’est un prix professionnel avant tout. Notre vœu serait d’éveiller les éditeurs. Qu’ils se disent que moyennant des investissements comparables, on peut aller bien plus loin et s’ouvrir, peut-être, de nouveaux marchés. Attirer, par exemple, quelqu’un qui n’a pas vu l’exposition mais sera intéressé par la réflexion autour du livre qui l’accompagne.

La découverte d’une hypothétique « belgian’s touch »?

ADV : Il y a de plus en plus moyen de travailler avec des éditeurs étrangers. Ce serait maintenant vraiment intéressant de pouvoir travailler plus loin qu’en Europe. Le livre « belge » n’a pas de spécificité propre, si ce n’est qu’il est un lieu de croisements’ de rencontres, et qu’il témoigne pas mal de quelque chose d’assez cosmopolite comme Bruxelles.

MDO : En termes de graphisme, Madrid est classique et Bruxelles dynamique. La touche belge? Ce qui est sûr, c’est que nous sommes à un carrefour d’influences, d’autres styles plus reconnaissables. C’est aussi notre force, de pouvoir toucher un peu à toutes ces influences, et de ne pas avoir une identité trop définie.

RH & PO : Nous avons à la fois ce regard sur la France, où le graphisme a toujours été considéré comme un art populaire se référençant complètement à la peinture, et sur des pays limitrophes comme la Suisse, les Pays-Bas ou l’Allemagne qui, eux, ont toujours entretenu une relation plus complexe, conceptuelle, avec le graphisme. Par ce que les échanges culturels peuvent avoir de viral, nous condensons toutes ces influences. Et c’est aussi ce qui intéresse les Français: notre vision beaucoup plus vaste en termes de références et de pratiques. Autre particularité des Belges, outre l’auto dérision permanente: une très grande interrogation sur le contenu. Rien n’est fait pour une esthétique à elle seule. Nous sommes plus modestes pour un certains nombre de choses, mais là, on creuse peut-être un peu plus profondément. ,”

BV : Le fait qu’en Belgique, le graphisme soit moins « institutionnel » est une grande source d’inspiration. Nombre de ceux qui ont été étudier à l’étranger reviennent aujourd’hui à Bruxelles parce que c’est un creuset d’une multitude d’apports. On ne peut certainement pas parler d’unité, et c’est très bien ainsi.

Une réflexion sur ce qu’est un « beau livre »?

ADV : Beaucoup de livres d’art ont été inscrits au Prix. Le «beau livre» d’aujourd’hui n’est plus celui d’antan, parce que le processus de production, les budgets, les moyens de production technique ont évolué. Et les graphistes se positionnent également comme des auteurs, par rapport au livre. C’est cette création contemporaine et novatrice que le Prix a plutôt tendance à mettre en avant. Bien que le beau livre classique, s’il était présent, pourrait être primé.

BV : Je pense que c’est avec Marcel Broodthaers qu’on a vraiment eu une touche belge. Quand l’artiste était lui-même le designer. C’est frappant aujourd’hui: rares sont les artistes qui arrivent à projeter leur œuvre dans un livre, ou utiliser le livre comme un objet d’art. Il y a aujourd’hui une vraie ré¬flexion sur cette identité.

Un coup d’œil sur les modes et les tendances?

MDO : J’ai l’impression qu’on cherche de plus en plus à créer des livres exceptionnels, au niveau formel. Dans mon métier de graphiste, le livre est en tout cas très valorisé, par rapport à d’autres applications apparaissant, par contraste, comme plus futiles.

RH & PO : Nous sommes actuellement dans une tendance double: hyper typographique, et totalement orientée vers les moyens de production.

BV : La démocratisation de l’accès à Internet permet de se tenir au courant des tendances, qui sont vite récupérées. Mais c’est souvent tout aussi temporaire. Quand nous travaillons, nous essayon~e spéculer sur ce qui peut être intemporel. Aujourd’hui, moyennant l’apprentissage de quelques règles, on peut devenir graphiste. Tout consiste ensuite à ne pas res¬ter figé avec ces quelques règles.

Une alternative future à l’e-book ?

ADV : Le Prix existe aussi pour soulever la question du devenir du livre. L’e-book? Des technologies qui amènent d’autres standards de lecture: intertextuelles, croisées, avec des indexations plus complexes et plus riches ...

RH & PO : Quant à charrier des contenus textuels voire imagés mais alors à titre documentaire, le livre numérique trouvera sans doute une place très importante. Le dialogue entre les parts de texte et les parts d’image nécessite, lui, une structuration narrative, voire visuelle ou même complexe que jamais ce type de support ne pourrait à priori envisager. Le livre, en tant que support à la fois de création et de transmission, devient une niche. Il doit trouver sa spécificité ; il n’est pas juste de la diffusion de contenu. Et c’est là que nous nous situons.

BV : Certains catastrophistes affirment que le livre va disparaître. Je ne crois pas. J’ai essayé de lire un livre digital: c’est horrible! Je crois aussi que c’est le monde de l’entreprise qui va surtout faire appel à ces technologies pour développer de nouveaux concepts. Et le monde de l’art se penchera toujours sur le concept ou l’idée d’abord, pour ensuite chercher quelle technologie peut le ou la concrétiser.

MDO : L’e-book est une réalité. Ma première réaction serait d’avoir un peu peur. J’espère que l’évolution de cet objet en fera quelque chose d’utile pour des ouvrages spécifiques, comme les encyclopédies ou les livres de poche. Le livre-objet, le « beau livre » même si je n’aime pas trop ce terme, existera toujours. Et peut-être deviendra-t-il encore plus exclusif, plus précieux, pour marquer sa différence avec l’e-book.

Par Didier Stiers, photographie Florian Aimard

Posté par Benoit - Tags : Publication